Thierry FRER

Origine des textes: FRAC Pays de la Loire, Presse locale, dossier remis aux enseignants le jour de la présentation de l'installation:“ Les histoires d’amour se passent en Espagne ” , site web du Lieu Unique Nantes.

Texte 1
J’écris depuis quelques années, par à coups et sous forme de nouvelles. Ma préoccupation principale, en ce qui concerne l’écriture, tourne autour de l’autobiographie et du souvenir.
M’estimant de plus en plus limité par l’écriture, j' éprouvai le besoin de m’exprimer également à travers la photographie, de produire des images.
Ecrire ne me suffisait plus. J’accompagnai alors mes premières séquences photographiques d’ un ou de deux textes.
Par la suite, je sélectionnai certains de mes écrits afin d’en extraire des images et me mis à photographier les lieux s’y rattachant. Je sentais déjà naître en moi 1’ envie d’entreprendre un travail plastique à partir de ces narrations.
Je fus déçu par le résultat photographique qui n’en restait pour moi qu’au stade d’un constat froid et sans âme: la configuration des lieux se modifie au cours des années, la lumière, le cadrage, ne traduisent pas toujours exactement l’image précise et spontanée qu’il m’était resté de ces espaces-souvenir.
Il m’importait d’en matérialiser une image mentale spontanée, reliée à un souvenir précis et unique relatif à chaque lieu, recréer une sorte de photographie en volume, avec une lumière et un point de vue précis.
Il me fallait donc matérialiser ces visions intérieures.
Thierry FRER

Texte 2
Depuis une dizaine d’années, je réalise des boîtes optiques. Il s’agit de maquettes d’intérieurs, hyperréalistes, reconstituées de mémoire, sans trace photographique à l’appui.
Je donne ainsi à voir des lieux recréés que j’ai très bien connus, dans lesquels
j’ai parfois vécu.
Contrairement au travail de Charles Matton, mes maquettes sont visibles par le truchement d’un judas optique inversé vers l’intérieur.
Dissimulées derrière des structures modulables, panneaux ou fausses cloisons, le spectateur ne peut savoir s’il s’agit d’un intérieur à échelle un ou d’une photographie en trois dimensions.
Ces espaces vacants sont accompagnés de textes écrits préalablement, que l’on écoute individuellement dans des casques de baladeurs.
Il s’agit parfois de récits évoquant l’occupant du lieu, descriptifs, lus par moi-même telles des litanies monocordes.
Je réutilise parfois d’anciens enregistrements de conversations avec les personnes concernées et réalise des montages sonores où l’on peut les entendre se confier et raconter des anecdotes.
Fin 2000, à l’occasion d’une exposition à la médiathèque de Rezé, près de Nantes, j’ai proposé à une poignée d’habitants de la Maison Radieuse du Corbusier d’inverser leurs judas optiques vers l’intérieur des appartements, ceci entre 17 et 20 heures, afin que l’on puisse les observer évoluer dans leur environnement.
Parallèlement, je montrais à la galerie de la médiathèque une série de six boîtes optiques reconstituant mes six derniers appartements; on y retrouvait le même mobilier dans six architectures différentes.
A la Maison Radieuse, j’inversais le propos en donnant à regarder à échelle un des appartements occupés, tous identiques architecturalement, mais différents de part la décoration et le mobilier.
En amont de ce projet, j’ai réalisé un film vidéo où l’on me voit converser avec les habitants de l’immeuble du Corbusier. Il m’intéressait d’établir un dialogue
avec eux en leur faisant découvrir mon travail à caractère autobiographique, puis de leur proposer de se donner à voir en échange en inversant leur œilleton, tel un webcam rudimentaire.
Je n’ai pas choisi d’intervenir à la Maison Radieuse par hasard, puisque j’ai vécu une partie de mon enfance dans une sorte de réduction des collectifs du Corbusier, construite dans les années soixante-dix.
En dehors du caractère affectif de ce choix, il m’importait également d’établir un parallèle entre des maquettes de la maison de mon grand-père, construite dans les années cinquante et l’architecture du Corbusier.
Ces maquettes traduisent en volume des dessins d’enfance où je m’amusais à magnifier à ma guise cette maison à l’aspect on ne peut plus ordinaire. Contrairement aux boîtes optiques, elles sont présentées comme des projets à l’aspect bricolé et inachevé affirmé. Il ne s’agit plus de reconstituer des espaces réels et de créer une illusion, puisque ces architectures sont des fictions, des phantasmes d’enfance. Thierry FRER

Article 1
Thierry Frer expose ses boîtes optiques jusqu'au mercredi 9 janvier à la médiathèque Hermeland.
L'artiste nantais Thierry Frer désire "donner des images mentales qui n'appartiennent qu'à lui" en exposant à la médiathèque Hermeland, 11 boîtes optiques, cubes camouflés dans les rayons de la bibliothèque que l'on aborde en collant son œil à un judas et ses oreilles à des écouteurs.
Pour chaque exposition, et il en compte une belle palette (DRAC, Artothèque de Nantes, Zoo Galerie, mais aussi Genève, Marseille, etc.), Thierry s'adapte aux lieux, jusqu'à parfois percer les murs, modifier les formes le ses boîtes, créer des couloirs ou des cabines. "J'intègre mes boîtes comme si elles étaient là depuis toujours ". Quand on lui demande en quoi : consiste le principe des boîtes optiques, il demeure muet: "Je préfère laisser les gens s'interroger. J'ai envie de garder mon secret ".
A l'intérieur des boîtes, une ambiance très capitonnée. Le temps s'immobilise. Des meubles à la forme et aux couleurs des années cinquante sont balayés par la lumière. Une voix raconte, une autre s'emporte, des musiques suscitent ou éveillent les souvenirs profonds, de l'enfance; la présence humaine n'est qu'auditive: "Je préfère que le personnage soit évoqué dans la bande-son. Je fais parler les autres de moi, mes grands- parents, une amie d'enfance de ma mère... Je réutilise toutes les traces. Ma famille a été une sorte de laboratoire. Je les enregistrais, les épiais", explique Thierry.
Né il y a trente-trois ans à Luçon, l'artiste a beaucoup déménagé, de la région Nord-Alpes à la Loire-Atlantique. "Dans mes boîtes j'expose mes appartements, ceux des autres"; ils sont liés par une table rouge de 1956, "seul objet dont je ne veux pas me défaire". Après avoir fait les Beaux-arts de Lyon et de Nantes, exercé le métier de photographe professionnel et de reporter, Thierry Frer est devenu enseignant à Nantes où il vit depuis 1985. "C'est la photo qui m'a amené‚ à faire ce travail des boîtes. J'écrivais des textes que j'accompagnais de photos, des souvenirs, mais ça ne me convenait pas vraiment. Un jour, j'ai fait une photo de moi-même dans un miroir de sorcière. Cela m'a donné l'idée des boîtes et du judas".
L'artiste fait allusion à la Madeleine de Proust pour définir ses recherches.
"Tout le monde ressent le besoin d'éveiller, de réveiller ses souvenirs. C'est un travail un peu narcissique, mais ça peut toucher les gens. En observant ces salles des années cinquante, les gens peuvent s'y retrouver". Il matérialise, selon ses propres termes, l'image d'un souvenir. Thierry Frer a d'ailleurs publié un livre sur le texte des bandes-son qui alimentent les boîtes optiques.
En adéquation avec les judas, l'Authentic Fifties Club, donne …à observer, à
travers des hublots, des pièces de maison de taille réelle des années cinquante.

Médiathèque Hermeland, rue Rabelais. Tél 024095 2750.
Thierry Frer donne à voir ses rencontres et ses lieux à travers un judas...

Article 2
Les judas inversés de la Maison radieuse
L'univers de création du plasticien Thierry Frer est autobiographique, un poil narcissique, toujours lié à ses souvenirs d'enfant, d'adolescent, d'adulte. A partir du 2 novembre, à l'Espace Diderot (Rezé), il le décline en trois dimensions: boîtes optiques, diaporama, maquettes. L'exposition se double d'un projet de judas inversés à la Maison radieuse (Le Corbusier).
Plus d 'une dizaine d'individus et de couples résidants à la Maison radieuse (Rezé) ont adhéré à la proposition de Thierry Frer. " Après leur avoir présenté les grandes lignes de mon travail d'artiste, je leur ai parlé du principe du judas inversé, Il s'agit de tourner le judas installé à leur porte pour que, depuis l'extérieur, les visiteurs puissent découvrir leur intérieur, leur mode de vie, de 17 h à 20 h, deux jours par semaine, durant les deux mois d'exposition à l'Espace Diderot. "
L'artiste transpose à des inconnus le principe de la camera obscura (chambre noire) qu'il s'applique à lui-même depuis des années. Peut-être avez-vous déjà eu l'occasion de jeter un œil, de prêter une oreille à ses boîtes optiques lors d'exposition à Hermeland (Saint-Herblain) ou au Lieu Unique (Nantes)
La pupille collée au judas. un casque sur les oreilles, vous pénétrez dans une pièce en volume, un univers systématiquement familier, intime de Thierry Frer. "J'ai longtemps fait de la photo. Un jour, j'ai eu l'impression d'avoir fait le tour de ce que j'avais à dire à travers ce médium-là. Je voulais exprimer les choses en volume. "
Tout est parti d'une photo justement. Une photo d'intérieur prise avec un grand angle. Au centre du miroir, la silhouette de Frer prenant la photo. " Cela m'a rappelé un tableau, le bourgeois intérieur flamand de Van Hoogstraten, un peintre du XVIIIe. Le judas restitue cette impression de grand angle, cette idée d'arrière plan déformé.
Chaque boîte optique renferme un prénom, nomme une personne qui a partagé, un temps, sa vie avec Thierry Frer. Jusque l'une de ses grands-mères, vendéenne, dont, adolescent, il avait enregistré les expressions patoises. On pouvait les entendre dans "Grand-mère", installée à Actif/Réactif (Lieu Unique été 2000). Plus généralement l'atmosphère de la pièce, qui n'est pas sans rappeler certains décors campés dans Balzac ou la Madeleine de Proust, transparaît à travers la lecture d'un texte écrit comme une nouvelle, par Thierry Frer.
Le rêve
Le souvenir toujours, exposé à Diderot, tels des projets d'architecte. Quatre maquettes, à l'échelle 5 cm pour 1 m, d'une maison familiale. L'une fidèle aux plans de la maison grand-paternelle construite en 1952, les trois autres tirées de dessins réalisés par Frer, entre les années 1978 et 1983. " Chacun illustrait l'image que je me faisais de la restauration de la maison. Des projets plus ou moins farfelus. dont la décoration s'inspirait de ce que je pouvais voir à ces époques-là. "
Le rêve enfin. Le plasticien, installé à Nantes, a pris l'habitude de consigner ses rêves. Il en propose un dans une intrigante chambre noire. Le spectateur entre dans l'obscurité. entend le texte du rêve, dont il aperçoit furtivement l'image projetée à l'issue de la lecture. Une lecture en boucle.
B.S.
Jusqu'au 23 décembre à la Cité radieuse et à l'Espace Diderot. Thierry Frer
présente aussi un court-métrage rassemblant les impressions d'habitants de la
Maison radieuse. 02.51.70.78.00.

Article 3
L’artiste expose jusqu’au 23 à l’espace Diderot de Rezé

Les confidences de Thierry Frère
Lorsque Thierry Frère s’installe à Nantes et entre à l’école des Beaux-Arts, ses souvenirs le ra­mènent tout d’abord à ceux de la région Rhône-Alpes, lieu de se pre­mière quête. Il écrit et photogra­phie. L’écriture mais aussi les sou­venirs visuels constitueront désormais son vocabulaire. L’idée de réunir cette mémoire fuyante, il la radicalise au travers des dis­positifs sonores et visuels sous la forme de boîtes dont un judas nous permet l’accès. Muni ainsi d’un casque, et penché sur l’oeil, le spec­tateur, solitairement, entre dans l’intimité de l’artiste. Une intimité accidentée parfois, ou au contraire malicieuse, où sont retenues des bribes de conversation réelle comme avec sa propre grand-mère au franc-parler sympathique ou vengeur, où une chanson de Nino Ferrer s’attache à un décor dé­sormais glacé et où une voix amie se mêle à la voix même de l’auteur.
"Les lieux n’existent plus, le les ai donc fabriqués. " Images mentales, dans l’exposition elles retrouvent cette vie furtive comme une confidence heurtée de plaisir et de douleur. Car l’oeuvre ici ap­pelle sans doute le merveilleux qui accompagne toute reconstruction. Elle diffuse également des accents touchants griffés de larmes, celles du temps perdu à jamais. Mais aucune sentimentalité dans ces évocations d’un monde parfois sur­anné. Le récit soulève des strates qui s’adressent à chacun de nous.
Il faut souligner la qualité litté­raire de ces textes qui ouvrent sur un univers plastique singulier. Un saisissement nous gagne comme devant ces quatre maquettes de maison reconstituée à partir d’un dessin d’enfant. C’est la maison du grand-père ." Villa-ma retraite" qui subit dans l'imaginaire des changements successifs comme vien­nent se superposer en nous des états différents lorsque l’on évoque des lieux oubliés, des sensations toujours vibrantes.
Chez Thierry Frère, si la nostal­gie d’un sommier qui grince se mêle aux odeurs d’un mimosa qui a grandi, le timbre se veut vif, ju­bilatoire. L’exposition présente comme un contrepoint des élé­ments des visites de l’artiste à la Maison Radieuse. On le voit ainsi converser avec des populations, prolongeant ainsi les confidences qu’il sait si bien nous communi­quer, entre deux sanglots de rire.
P.G.
Exposition visible à l’espace Di­derot jusqu’au 23 décembre.

Article 4
Thierry Frer expose à Château-Gontier

Le mystère du trou de serrure

Le Carré de Château-Gontier organise, dans la salle gothique, une exposition des boîtes optiques de Thierry Frer. L’occasion nous est donc donnée de parler de ce jeune artiste nantais.
Les oeuvres de Thierry Frer se voient, s’entendent et se rêvent. Quand on arrive dans une de ses expositions, on voit, accrochés sur les cimaises des casques audio et un nom écrit juste à côté.
On s’approche, on place le casque sur ses oreilles et on voit, un peu en dessous, une sorte de trou noir: il s’agit en fait d’un judas de porte dans lequel, inévitablement, on jet­te un oeil. Le casque diffuse des bribes de phrases que l’artiste lit d’une voix douce. Les phrases racon­tent un personnage: ce sont des sou­venirs, des situations, des émana­tions de mémoire poétiques et douces.
A travers le judas, l’oeil du spec­tateur perçoit en relief une salle d’un appartement ou d'une maison. Les meubles, les tapis, la tapisserie, tout un tas d’objets définissent le per­sonnage dont le nom est écrit sur le mur, comme une seconde peau: leur intérieur trahit leur personnali­té (le judas est là pour ça).
Quelque chose se joue entre la bande son diffusant en boucle des phrases lentes et lointaines et l’es­pace perçu dans le judas: comme l’apparition imprécise d’un être que l’on aurait pu connaître. Chacun des personnages évoqués par l’ar­tiste est quelqu’un qui lui est proche, un cousin, un ami, Odette... Et le fait de s’approcher des oeilletons pour regarder et entendre place le spec­tateur dans une position peu com­mode (il doit se plier, se coincer le nez contre le mur pour bien voir...) presque celle du voyeur.
Et chacun sait que la réponse est derrière le trou de serrure!
Le Carré, Théâtre missionné des Ursulines, Château-Gontier.
Christophe CESBRON.

Article 5
Texte (origine site du Lieu Unique http://www.lelieuunique.com/ARTS/frer.html)

THIERRY FRER
Un coin de table d'une cuisine tient lieu d'atelier à Thierry Frer. Il ne dispose pas d'un antre exclusif, saint des saints, où s'ébroue la pensée créatrice, entre matériaux et déchets. Nomades, ses boîtes optiques s'accommodent d'une gestion spartiate. Dénudées, elles ressemblent à de gros colis de poste balafrés de bandes adhésives, bardés de fils électriques et d'interrupteurs ; une seule coquetterie perturbe cette impression générale de pauvreté, le tube nickelé, énigmatique, d'un judas qui en traverse une face.
(...) A regarder dans les judas de Thierry Frer, c'est pourtant la camera obscura, entre science et magie, qui nous vient le plus aisément à l'esprit. Cette boîte devenant progressivement portative, usant des vertiges de l'optique et de la perspective, passait pour provoquer des apparitions. Elle capturait des constructions impalpables. Proche fut le peepshow dont le nom même, avant d'identifier quelques officines sulfureuses, exprime l'indiscrétion d'un coup d'il à la dérobade : le bourgeois Intérieur flamand de Van Hoogstraten (XVIIème siècle) se laisse traverser de part en part, d'un mur à l'autre par le regard qui déchiffre des allégories.
Moins empruntés, les intérieurs de Thierry Frer nous font chausser les bésicles de Gulliver pour dominer un monde clos et miniature. On pense bien sûr aux maisons de poupées, mais aussi aux "travaux de couvents" du XVIIIème siècle : boîtes cellules ouvertes sur un côté, vitrées, dans lesquelles une religieuse s'adonne à de pieuses activités ; une fenêtre percée latéralement permet le passage de la lumière. Dans la même veine, des lampes électriques placées derrière des volets, des portes ou des baies réveillent les boîtes de Thierry Frer de leur immersion forcée dans le noir absolu. Cet éclairage indirect, à la Vermeer, souligne le réel jusqu'au malaise.
(...) Enfin, ce processus très littéraire de remémorisation n'est pas sans évoquer Proust. Celui-ci se livre au souvenir soigneusement conjugué à l'analyse, une nostalgie organisée. Dans un registre voisin, comment ne pas évoquer la description fine des deux pièces de la "Maison Vauquer" dans Le Père Goriot de Balzac ? L'auteur en décrivait minutieusement l'apparence et le contenu avant d'y introduire la pièce maîtresse, la Veuve Vauquer, patronne de la pension. A sa manière, Thierry Frer ne procède pas autrement.
Benoît DECRON (site du Lieu Unique)


Article 6 : texte de présentation de l'exposition Instantané (19) :Thierry Frer
"Les histoires d'amour se passent en Espagne" (origine FRAC Pays de la Loire)

Au Frac, l'artiste présente deux maquettes de château et un diaporama accompagnés d'une bande sonore sur le thème de la rupture amoureuse, dans une exposition intitulée "les histoires d'amour se passent en Espagne". Thierry Frer enferme ses souvenirs dans des boîtes optiques, maquettes hyperréalistes d'intérieurs qui ont marqué son existence. Il s'est aussi fait connaître en inversant les judas de certains appartements de la Maison Radieuse à Rezé durant une exposition l'année dernière. Des personnes qui avaient accepté de jouer le jeu et de livrer ainsi au public des "tranches" de leur vie quelques heures par jour, grâce à un dispositif proche de celui de Big Brother.
Thierry Frer écrit, photographie, et l'idée de réunir une mémoire (la sienne) fuyante va s'incarner dans des dispositifs singuliers : sonores et visuels. Autour de deux maquettes d'un même château, l'un, tel qu'il existait au début du siècle, et l'autre dans son état actuel, le spectateur est invité à pénétrer dans l'intimité de l'artiste : une intimité accidentée (sa mère parle avec un enfant souffrant de graves problèmes psychologiques) ou malicieuse, on écoute les morceaux d'un conte, d'une pièce de théâtre inventée et interprétée par Thierry Frer lui-même étant enfant. Un comte un peu fou se débarasse de sa femme dans une sorte de vaudeville romantique où l'on se déchire et l'on se console. Le spectateur est à l'écoute de cette histoire, tandis qu'il contemple dans la pénombre, les maquettes à travers une fenêtre et un diaporama où il est aussi question de rupture. Rupture amoureuse cette fois, et réelle, puisque des personnes se sont prêtées au jeu : photos de couples où l'être à l'origine de la cassure a été détouré en noir sur un fond sonore constitué par les lectures des protagonistes de véritables lettres de ruptures. Simultanément, le public est donc invité à pénétrer l'intimité des gens dans trois histoires différentes ouvrant sur un univers plastique singulier, des lieux suggestifs qui nous font superposer notre histoire, celle de l'artiste et celles des acteurs présentés.


Article 7(origine Ouest-France)

FRER AU FRAC : MAGNETO, THIERRY
“ Les histoires d’amour se passent en Espagne ”, la rupture de la mise en scène
Deux maquettes d’un même château, à regarder avec un casque sur les oreilles. Un diaporama à contempler en écoutant des lettres de rupture : Thierry Frer a réuni les fragments cassés de la vie (celle des autres ou de la sienne) dans une œuvre
présentée au Frac dans le cadre de ses “ Instantanés ”.
Son grand-père était un radio-amateur passioné et enregistrait tout ce qui bouge et parle. Sa mère, éducatrice spécialisée dans un château de contes de fées, enregistrait également les petits pensionnaires oubliés là par leurs parents. Thierry Frer a beaucoup rêvé dans ce château . La bande magnétique lui servait à communiquer avec les petits malades qu’il n’avait pas le droit de voir. Il utilisait aussi le micro pour inventer des psychodrames enfantins, des pièces de théâtre où il rejouait, à sa façon le psychodrame familial.
“ Je me souviens de ce château, un centre de la Mutuelle des enseignants de l’Education nationale. Les enfants y vivaient une rupture d’avec leurs familles. Une fillette avait pu parler avec sa Mamie dans un parloir, elle avait reçu des jouets par l’hygiaphone. ”
De ce château, l’artiste a conservé une vieille bande magnétique un peu folle, un entretien entre sa mère et une fillette. Il l’utilise dans son dispositif de recomposition de sa propre vie. Une autre bande conserve la trace d’un vaudeville où Thierry, à 10 ans, s’identifie au comte du château et demande à l’amant de sa femme de le débarasser d’elle. “ Je rejouais l’état de rupture
permanent de mes parents, j’enregistrais sans arrêt. ” Culture familiale du magnéto, et de la cassure, qui finira par la séparation.
Celle-ci se prolonge lorsque sa mère quitte la région de Genève pour la Vendée. Et des Beaux-arts de Lyon pour ceux de Nantes. “ J’ai détesté la Vendée. La nostalgie du château a alimenté mes écrits et mes photos. ”
Thierry Frer va d’abord travailler sur l’intérieur familial, en proposant à des habitants de la Cité Radieuse d’inverser leurs judas. On peut ainsi les regarder vivre dans un ovale semblable au miroir des sorcières. Ou celui du tableau “ Le mariage des Arnolfini ”, où le peintre s’est représenté lui-même. Comme si l’image venait de l’œil.
“ Mais c’est la première fois que je traite de la rupture amoureuse, parce que j’ai subit deux ruptures récentes, et qu’en outre il m’a fallu porter celle d’une amie en dépression. Elle communique avec moi par des messages sur téléphone portable. Un jour, je lui ai écrit : Les histoires d’amour se passent en Espagne. C’est devenu le titre de mon exposition."
Résumons : entre cassures familiales et enfants esseulés, un enfant élabore une mythologie personnelle, tissée de sons magnétiques et de dramaturgie néogothique. L’enfant épie, espionne tout. L’œuvre qu’il représente aujourd’hui se déploie à partir de ce point fixe. Le château rose [je rectifie: le château rose est le château primitif , rêvé , qui n'était peut-être pas rose bien que T.FRER croit avoir trouvé des traces de cette couleur sur un balcon qui aurait échappé à la restauration. JPF]de l’enfance est le noyau de son imaginaire.
Au Frac, Thierry Frer expose deux maquettes des châteaux où sa mère a successivement travaillé.[je rectifie: il s’agit bien du même château, l’actuel, qui est toujours un centre MGEN et où sa mère a travaillé et l’ancien tel que T.FRER a pu le rêver et le reconstituer à partir de cartes postales datant de l’époque son premier propriétaire. JPF ] Des architectures à observer en écoutant les sons du grand-père [non, il n‘y a pas d‘enregistrements du grand-père. T.FRER dit ne pas les avoir encore utilisés dans son travail, mais on sent que ça va venir... JPF], de la mère et du fils. Un son-et-lumière de l’intime fracture auquel répond le diaporama. Des personnes réelles se sont prêtées au jeu : sur des photos de couples où l’absent n’est qu’une silhouette noire, une voix lit la lettre de rupture. Pars, et surtout ne te retourne pas. Thierry Frer, lui, marche à reculons, un micro à la main, ramenant des Enfers les lignes brisées de sa vie. Et celle des autres.

Daniel Morvan (Ouest-France 16 /11/01